Par Maxence Mosseron, responsable du pôle conservation-restauration
Les peintures de Jean Daret actuellement au CICRP, comme chaque œuvre accueillie dans nos ateliers, bénéficient d’un dossier d’imagerie scientifique (ou DIS). Il représente une aide précieuse ainsi qu’un guide fiable dans la réussite des restaurations à mener.
Le DIS joue un rôle fondamental dans l’appréhension de l’œuvre à restaurer tout comme il apporte des éléments de connaissance en histoire de l’art, les deux aspects s’enrichissant l’un l’autre.
Il permet non seulement de mieux visualiser les dommages matériels, fragilités voire pathologies de surface, mais plus encore de découvrir les différentes strates composant l’œuvre sans porter atteinte à son intégrité. Il s’agit de sonder la peinture grâce à diverses sources de rayonnements visibles et invisibles qui vont pénétrer le millefeuille de la matière picturale, depuis le support et sa couche de préparation jusqu’au vernis final, en passant par toutes les étapes de la réalisation de l’œuvre, depuis le dessin préparatoire original jusqu’aux éventuels repeints postérieurs à la réalisation de celle-ci.
L’analyse du DIS appliquée au tableau de Jean Daret Saint Paul ermite et saint Antoine, qui appartient à la commune de Vence, est représentative des possibilités offertes par l’imagerie, tant pour l’étude préalable dont cette œuvre a fait l’objet, que pour sa future restauration.
Jean Daret, Saint Paul ermite et saint Antoine (avant restauration), 1660, huile sur toile, église paroissiale (ancienne cathédrale de la Nativité-de-Notre-Dame), Vence (Classé Monument historique par arrêté du 02/05/1910).
Conservatrices-restauratrices : Marine Victorien et Silvia Petrescu Ruffat.
La photographie en lumière directe (LD) sert à mieux appréhender l’état de conservation à un temps T de la peinture qu’elle renseigne et documente fidèlement.
La lumière rasante, quant à elle, fait ressortir le relief de la touche mais aussi les accidents du support (coutures des lés composant la toile, joints ou nœuds des planches d’un panneau…), ainsi que les repeints, notamment sur l’aile du nez ou la pommette de saint Antoine (en creux) : ils témoignent d’une intervention postérieure qu’identifie également la radiographie. Celle-ci fait également état d’un profil plus fin, nerveux et incisif, que les interventions postérieures ont amolli.
La photographie de fluorescence sous ultraviolets (UV) dans le visible met en évidence la propriété de certains matériaux à émettre une fluorescence visible sous UV, pour des radiations de longueur d’onde égales à 365 nanomètres (nm). Les vernis composés de matières organiques émettent une lumière bleu-vert, contrairement aux pigments inorganiques qui n’y sont pas ou très peu sensibles. Le rayonnement UV fait par conséquent apparaître sous forme de taches sombres, parce qu’ils ne fluorescent pas, les repeints appliqués sur le vernis.
Saint Paul ermite présente par exemple une fluorescence caractéristique d’un vernis à base de résine naturelle dans une teinte jaune verdâtre, quand les taches bleutées désignent les mastics à la cire et que les taches brunes opaques révèlent les derniers repeints, au-dessus du vernis.
Les rayonnements infrarouges (IR) (radiations de 400 à 1 000 nm de longueur d’onde) traversent la couche picturale pour donner à voir d’éventuels repentirs ainsi que le potentiel dessin sous-jacent. Mais tout dépend de la nature des composants physico-chimiques. Ainsi le rayonnement IR va au-delà des pigments de surface quand le carbone du fusain par exemple, posé sur la couche préparatoire blanche comme c’était la règle pour les peintures anciennes, l’absorbe et devient alors visible, par contraste avec le rayonnement réfléchi par la préparation blanche. Si des pigments noirs sont utilisés dans la couche picturale, le dessin sous-jacent sera plus complexe à repérer puisque le rayonnement IR sera absorbé pour l’un comme pour les autres.
De surcroît, chaque pigment possède une composition chimique unique qui absorbe différemment les rayonnements IR. Afin de mieux les identifier, ainsi que les retouches sur l’œuvre, on recourt fréquemment à la technique de l’infrarouge fausse couleur (IRFC). Il s’agit d’un artifice numérique qui permet de transformer les niveaux de gris de l’image IR en une gamme de couleur différenciable par l’œil.
Ainsi, au niveau du visage de saint Antoine, la photographie IRFC révèle des repeints au ton verdâtre au lieu des tons chair du visage. Cette image se révèle plus lisible que les différents niveaux de gris de l’image IR.
La réflectographie IR (radiations supérieures à 1 000 nm), traverse des matériaux davantage opaques et révèle des couches encore plus profondes. On se sert de cette technique pour caractériser notamment des détails sinon invisibles (repentirs, signature…). Ici par exemple, une branche feuillue – située en haut à senestre – invisible ou presque en lumière directe. En revanche, la photographie sous rayonnement IR met en évidence avec précision le jeu du pinceau, quand la réflectographie affine encore les détails.
En mesurant les rayonnements transmis à travers l’objet (ce n’est pas une technique photographique contrairement aux autres présentées ci-dessus), la radiographie fournit des informations sur :
Au CICRP, une radiographie est effectuée quand le DIS ne répond pas à toutes les questions que se posent les restaurateurs ou le comité scientifique, puisqu’elle permet en théorie d’aller au plus profond. Sur l’œuvre de Daret, on constate que le visage de saint Paul a subi une intervention postérieure à celle du peintre : le profil presque pur de saint Paul ermite a été modifié pour un trois-quarts maladroit (l’œil gauche n’est pas aligné).
Là encore, des limites existent, si la composition des constituants ne met pas en relief les tracés dissimulés dans l’épaisseur de la peinture. En effet, les contrastes blanc, gris et noirs qui s’observent sur la radiographie X sont le résultat des effets combinés de la nature des pigments (en particulier des éléments qui les constituent), de leur épaisseur et de leur densité. Par exemple, à épaisseur égale, le plomb et le mercure, qui sont des éléments lourds, absorberont davantage les rayons X que le zinc ou le titane, eux-mêmes étant plus absorbants que le calcium ou le silicium. Ils produiront respectivement une plage blanche, gris clair et gris foncé sur le film de la radiographie X, ce qui permettra une distinction de chacun. Cependant, l’observation des composantes de l’œuvre devient difficile lorsqu’un matériau trop absorbant est apposé en couche épaisse sur l’intégralité de la surface peinte, masquant toute autre trace d’une matière constituée d’éléments plus légers, ou quand les différences de nature des matériaux ne sont pas suffisantes pour créer un contraste, comme pour la branche feuillue révélée par la réflectographie IR : l’absence de blanc de plomb ne permettait pas sa différentiation sur la radiographie X.
Ainsi la peinture, parfois, résiste-t-elle encore et conserve certains de ses mystères. Toutefois, le fonds documentaire fourni par le DIS et le croisement des données enregistrées par ce truchement favorisent une meilleure connaissance de l’œuvre et de son histoire matérielle.
Photographie d’en-tête : Détail sous rayonnement infrarouge de Saint Paul ermite et saint Antoine.
Crédits pour le DIS : CICRP – C. Martens ; pour la radiographie et la réflectographie : E. Hubert-Joly