Par Sarah Boularand, ingénieure chimiste
Cette œuvre, propriété de la ville d’Aix-en-Provence et conservée à l’église de la Madeleine, actuellement fermée pour restauration, a présenté plusieurs problématiques au moment de l’intervention de restauration au CICRP.
Jean Daret, Salvator de Horta guérissant les malades (avant restauration), 1637, huile sur toile, église de la Madeleine, Aix-en-Provence (Classé Monument historique par arrêté du 20/09/1910). Crédit : CICRP – E. Hubert-Joly.
Conservatrices-restauratrices : Marina Weissman et Armelle Demongeot-Segura.
Lors de la restauration d’un tableau au CICRP, les scientifiques du patrimoine accompagnent les conservateurs-restaurateurs dans le processus de compréhension de l’histoire matérielle de l’œuvre et de connaissance des couches picturales qui la composent.
S’agissant du Salvator de Horta guérissant les malades, les restauratrices, Marina Weissman et Armelle Demongeot, souhaitaient notamment connaître la nature du pigment vert employé sur les vêtements de certains personnages et sur la végétation, afin de comprendre le phénomène de blanchiment observé sur cette coloration. De la même manière, on soupçonnait une altération des matériaux picturaux sur le jaune pâle de la chemise du personnage portant les traits de Jean Daret (aux mains croisées sur la poitrine) et qui présente une surface très craquelée, avec des variations de l’intensité de la teinte.
Pour tenter de répondre aux questions qui se posent sur l’ensemble des matériaux du tableau à restaurer, plusieurs interventions scientifiques sont effectuées directement sur l’œuvre dans un premier temps de manière non-invasive, puis sur de petites écailles de matière prélevées au cœur même de la peinture. Celles-ci sont le fondement de l’étude scientifique puisque pratiquement toutes les analyses se font sur ces micro-fragments de matière. Mais en quoi consiste cette opération de « prélèvement » de petites écailles de peinture ? Quelles informations obtient-on ? Comment et à quel endroit peut-on prélever ?
Le prélèvement sur une œuvre d’art est une action délicate et minutieuse, réalisée après un examen méticuleux de la surface peinte, tout en confrontant les différents clichés d’imagerie scientifique. Il s’effectue à l’aide d’un scalpel et se situe toujours en bordure d’une lacune existante ou d’une zone fissurée. Les écailles extraites n’excèdent jamais une surface de plus d’1 mm2. La déontologie impose en effet de limiter le nombre et la quantité d’échantillons prélevés afin de maintenir au mieux l’intégrité du tableau et sa bonne conservation.
Chaque prélèvement n’est donc réalisé que s’il est susceptible de répondre à une question non élucidée par les observations et analyses non invasives. De fait, la connaissance de la nature des matériaux d’une couche picturale permet par exemple la distinction entre les repeints et la peinture originale, donne une indication sur le processus de dégradation observé et permet d’évaluer la datation d’un repeint. Dans tous les cas, l’identification des matériaux originaux apporte aussi des informations sur la technique et la palette du peintre. Cela nous permet de savoir comment il réalisait ses couleurs et ses effets optiques avec la gamme de pigments et de liants à sa disposition et s’il utilisait des pigments locaux ou importés, onéreux ou bon marché.
Écaille de peinture prélevée sur le vert altéré du drapé de la robe d’une femme. Observation sous loupe binoculaire (grossissement x56).
Crédit : CICRP – S. Boularand.
Coupe stratigraphique du vert altéré prélevé sur le drapé de la robe d’une femme. Photographie au microscope optique (grossissement x200). Crédit : CICRP – S. Boularand.
Dans ce sens, il faut souligner que les pigments bleus et rouges – en particulier lorsqu’ils sont utilisés pour l’habit d’un saint personnage, tel que la Vierge Marie sur le tableau Salvador de Horta guérissant les malades – peuvent avoir des caractéristiques remarquables en lien avec le contexte socio-historique de l’œuvre. Ce sont généralement des couleurs très travaillées et obtenues par mélange et/ou superposition de plusieurs pigments dont certains étaient à l’époque très coûteux, comme le bleu d’outremer naturel qui pouvait être plus cher que l’or. L’étude de ces pigments, utilisés par Jean Daret sur ce tableau de début de carrière, a occasionné des prélèvements complémentaires aux demandes des restauratrices afin de mieux connaître la technique et la palette de l’artiste, actuellement au centre des investigations du CICRP dans le cadre du programme de recherche sur la peinture provençale au XVIIe siècle.